9.10.2012, Elisabeth Kim
La fée Verte du Val-de-Travers, détentrice d’une IGP, rend fous ses concurrents, aussi bien suisses qu’étrangers. Plusieurs distillateurs ont de nouveau fait recours contre cette appellation.
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Jamais le Val-de-Travers n’aura fait couler autant d’encre. A la mi-août, la région s’était vu réaffirmer, face à une quarantaine d’oppositions, sa propriété sur les appellations «absinthe», «fée Verte» et «La Bleue» par l’Office fédéral de l’agriculture. Or ces IGP (pour Indication géographique protégée) continuent à rester en travers de la gorge d’un bon nombre de distillateurs, à l’étranger comme sur le territoire suisse. Certains d’entre eux ont interpellé le Tribunal administratif fédéral (TAF), de la Confédération européenne des producteurs de spiritueux à la Fédération française des spiritueux en passant par la Distillerie Morand, à Martigny, Absintissimo, à Genève, et Obstinée, dans le Val-de-Ruz.
Un marché de niche
Cette déferlante d’oppositions ne fait pas trembler Yves Kübler. L’homme, qui a repris dans les années 90 la distillerie de Môtiers fondée par son arrière-grand-père, a vécu la réhabilitation, en 2005, de cette eau-de-vie accusée de rendre fou au début du siècle dernier. Le patron de Blackmint et les membres de l’Association interprofessionnelle de l’absinthe n’en démordent pas: à leurs yeux, seule La Bleue du Val-de-Travers peut légitimement porter ce nom face à la kyrielle de breuvages anisés vendus aux quatre coins du monde. «Il ne faut pas se leurrer, affirme-t-il. L’absinthe suscite bien des convoitises, en particulier de la part de grands groupes internationaux qui misent sur son développement futur.»
Car, pour l’heure, la liqueur reste un marché de niche: 140 000 litres produits en 2009 en Suisse selon des procédés ancestraux. Chez Blackmint, les feuilles et les fleurs d’absinthe, récoltées dans le Val-de-Travers, sont mélangées à des graines d’anis, de fenouil, de menthe ou de mélisse citronnée importées de contrées plus ensoleillées. «Chaque artisan a sa recette, mais la vraie absinthe ne contient pas de sucre», ajoute Yves Kübler. Il faudra jusqu’à cinq mois pour que les plantes, l’eau et l’alcool – «50 à 55% vol, c’est la teneur idéale», précise le Môtisan – se muent en fée verte. Une couleur, soit dit en passant, plus guère d’actualité, l’absinthe des années 2000 étant transparente. «Plus c’est coloré et plus le goût est amer, ce qui ne correspond plus aux attentes des consommateurs.»
Clientèle urbaine et branchée
Des consommateurs, justement, qui représentent le nerf de la guerre, et pour qui le «marketing du terroir» comme celui des AOC/IGP peut fortement influencer l’acte d’achat. Mais le breuvage favori du poète Arthur Rimbaud reste aujourd’hui largement méconnu, même si certains bars branchés de New York ou de Zurich commencent à le découvrir, le servant à une jeunesse urbaine dans les règles de l’art, au moyen d’une fontaine à absinthe. L’avenir dira donc si seule l’absinthe du Val-de-Travers aura le droit d’être commercialisée sous cette appellation dans les pays ayant reconnu l’IGP helvétique. A noter que les opposants, s’ils sont déboutés par le TAF, pourront encore déposer un ultime recours auprès du Tribunal fédéral.



