Brésil affiche contre esclavage

Article : Cuir

Brésil: l'empreinte de l'esclavage

Commerce équitable

6.3.2012, Source: Danwatch – Ida Dalgaard Steffensen, Traduction et adaptation: Huma Khamis

L’Europe est le plus grand importateur de chaussures en cuir. Une grande partie de celui-ci provient de fermes bovines située en Amazonie, où les exploitants recourent à l’esclavage et où aucune mesure de sécurité n’est en place dans les abattoirs.




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L’air est chargé en poussière. Dix-sept hommes en apprentissage au Service national de formation industrielle (SENAI) à Ciubabà, capitale de l’ État du Mato Grasso dans l’ouest du Brésil, sont en train de démanteler une maison qu’ils ont construite quelques jours auparavant. Le travail se fait dans la concentration, mais non sans sourires et quelques blagues. Une situation impensable il y a deux mois de cela puisqu’ils étaient esclaves dans des fermes d’élevage de bovins. Si sourire semble un peu irréel dans pareil physique, Daniel Moroes Ferreira, 27 ans, vit la situation comme un nouveau départ, comparé à son «emploi» précédent.

Daniel est arrivé à Cuibabà il y a quelques semaines, avec son ami, Rodrigues Gomes Guimaraes, 26 ans. Ils se sont rencontrés lorsqu’ils étaient retenus  comme esclaves dans le Mato Grosso, le plus grand État producteur de bovins du Brésil. Daniel est nerveux, il cligne constamment des yeux et rit en racontant son histoire. Il  confiera par la suite que c’est pour éviter de pleurer: «Cette histoire doit être connue du monde entier», commence timidement Daniel. Et Rodrigues d’ajouter: «Beaucoup trop de travailleurs ont peur de raconter leur expérience, c’est pour cela que je parle. Je souhaite que personne d’autre ne vive la même chose.»

Barraquements de fortune dans les exploitations bovines au brésil

Baraquements de fortune dans les exploitations bovines au Brésil (c) Danwatch

Les deux hommes se sont enfuis d’une exploitation agricole. Daniel et Rodrigues ont effectué toutes sortes de travaux dans des fermes du pays. Lors de leur dernière mission, les deux hommes étaient chargés de préparer les terrains dans la forêt amazonienne. Emmenés à des centaines de kilomètres de toute habitation, ils se sont trouvés dans l’incapacité de fuir et se sont vus contraints de construire leur propre abri de fortune avec des piliers de bois et un toit en plastique, dans le plus strict dénuement. Obligés également de chasser à la tombée du jour pour se nourrir, leurs employeurs n’ayant pas même pris la peine de leur fournir des vivres. Rapidement, ils se sont retrouvés à boire la même eau souillée que les animaux. Ils n’avaient évidemment ni équipement de protection pour abattre  les arbres… ni l’ombre d’un salaire.

Selon le directeur de l’ONG Reporter Brasil, Leonardo Sakamoto, les fermes bovines sont en premier lieu responsables de l’esclavagisme au Brésil, particulièrement dans le Mato Grosso, où l’on compte d’immenses fermes exploitations. «Ce type d’exploitation est directement lié à votre style de vie (ndlr: européen)», commente-t-il.

 

 

Alléchés par des promesses

Les forçats sont tous originaires des Etats du nord du Brésil. «Les gens là-bas sont pauvres, peu éduqués et ont du mal à trouver du travail», décrit Luiz Machado, responsable de programme pour l’Organisation internationale du travail (OIT). Et comme l’explique Daniel Ferreira, lorsque le «gato», un contremaître en charge de recruter de jeunes hommes costauds au volant d’un bus coloré, fait miroiter que l’on peut gagner le double en deux fois moins de temps, on ne peut être que tenté. «Ils viennent avec des promesses par centaines et nous tombons dans le piège. Et c’est l’horreur qui nous attend».

Conduits de nuit sur leur futur lieu de travail loin de toute civilisation, les jeunes tombent dans un terrifiant engrenage : «La première semaine, on était bien traités, avec des pauses, de la nourriture, des heures de sommeil. Après, ils nous emmenés dans la forêt, nous ont demandé de couper les arbres et c’est là que tout a changé».

Pour Amarildo Borges de Oliveira, chef des enquêtes au Département régional du travail du Mato Grosso, ce cas de figure est assez commun. Rien qu’en 2011, 91 esclaves ont été sauvés dans la région. Son service fait des raids dans les fermes et trouve de nombreuses personnes détenues dans des conditions similaires à celles de Daniel et Rodrigues: «Ce nouvel esclavagisme consiste en des conditions de travail dégradantes, bafouant la dignité humaine. Les règles basiques fixées par l’administration en termes de sécurité, d’équipement et d’alimentation ne sont presque jamais respectées» ajoute Luiz Machado de l’OIT.

Même si au Brésil le travail forcé existe dans tous les secteurs d’activité, les acteurs luttant contre ce fléau s’accordent sur un point: «L’esclavagisme dans les exploitations bovines représente le sommet de l’horreur», souligne Leonardo Sakamoto. Et même s’il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre de personnes captives, Luiz Machado estime que ce sont dans ces fermes que les travailleurs de l’ombre subissent le plus d’accidents.

«Battu pour avoir demandé ma paie»

Brésil, daniel

Daniel raconte son calvaire dans les exploitations bovines (c) Danwatch

Daniel raconte son calvaire: «On m’avait dit qu’on serait payé deux fois par mois. Au bout de 20 jours, je suis allé voir le gato et j’ai demandé ma paie à deux reprises. Il m’a rétorqué de m’en aller si je n’étais pas content». C’est ce que Daniel décide de faire. Mais sa décision lui vaut d’être capturé sur la route, attaché à un arbre et frappé pendant dix jours. «Ensuite, le gato est revenu vers moi pour me demander si je voulais toujours partir. Bien sûr, j’ai dit non. Alors il m’a détaché et j’ai pu dormir. Le lendemain je suis retourné travailler comme si de rien n’était…» Et Luiz Machado de compléter: «Officiellement, les travailleurs sont libres de s’en aller. En réalité, ils sont détenus captifs au nom d’une dette créée de toute pièce par le gato».

Prisonnier des dettes

Selon le responsable des programmes de l’OIT, «ces jeunes hommes doivent acheter tout ce qui leur est nécessaire, comme le dentifrice, le  savon, etc. au gato. Ce dernier notera tout ce qu’ils utilisent, y compris l’essence des tronçonneuses, ce qu’ils mangent et déduit cela du salaire qui leur a été promis, explique Amarildo Borges de Oliveira. Les prix fixés par le gato sont évidemment plus élevés que celui du marché». Au final, les esclaves doivent toujours plus d’argent que ce qu’ils sont sensés gagner. Endettés, ils ne peuvent plus quitter leur travail.

Le problème est que ces esclaves sont fiers, selon Elisabeth Flores, de la Commission des terres agricoles, une organisation qui lutte contre l’esclavagisme au Brésil: «Si on leur dit qu’ils ont des dettes, ils se sentent moralement obligés de les honorer, même si elles sont injustes».

Liste noire brésilienne

Face à ces situations, l’Etat brésilien tente de réagir. Un des instruments créés par les autorités est la «lista suja», ou liste noire: il s’agit d’une base de données publique qui dénonce les fermes dans lesquelles le gouvernement a constaté des cas de travail forcé. Selon Leonardo Sakamoto, cette liste pourrait être utilisée pour éradiquer l’esclavagisme sans punir les fermes qui traitent correctement leurs employés.

Même si la liste est alimentée par le gouvernement après chaque raid, les exploitations se soutiennent entre elles. Daniel Ferreira en a été témoin: «Les fermes se tiennent les coudes entre elles. Quand une exploitation voit arriver les camions blancs du gouvernement, elle informe immédiatement les domaines avoisinants par radio de manière à pouvoir cacher ou faire fuir les esclaves».

Bien qu’encore imparfaite, la liste noire porte ses fruits. Lorsqu’une entreprise est répertoriée, elle doit non seulement  payer de lourdes amendes, mais rencontre aussi des  difficultés pour emprunter des fonds. Et, plus important encore, le bétail issu de ces fermes n’est plus accepté dans la majorité des abattoirs qui ont signé un accord pour bannir ces pratiques. Sauf que la situation dans les abattoirs n’est guère plus réjouissante.

Vingt et une heures de travail et une seule pause

Le Mato Grosso n’est pas seulement le lieu d’élevage des animaux, de nombreux abattoirs s’y trouvent. Les peaux sont un dérivé de la plus grande production de viande du pays et le cuir reste un commerce florissant.

Dans les abattoirs, le personnel semble effrayé à l’idée que leurs responsables découvrent qu’ils ont parlé à Danwatch, c’est pourquoi le nom des témoins restera anonyme. Selon Joao*, 28 ans, ex-employé, plus de 120 vaches étaient abattues par heure lorsqu’il travaillait sur place. Ce n’est que suite à des audits que ce rythme effréné a été réduit. «Nous n’avions pas d’horaires fixes, nous ne pouvions simplement pas partir avant d’avoir rempli notre quota journalier», raconte Ana*, 40 ans, également ancienne employée. «Certains jours, je commençais à quatre heures du matin et je ne quittait ma place qu’à une heure la nuit suivante». De retour à la maison, elle devait encore nettoyer ses affaires pour le lendemain.

Aline A. Roberto Amoras, cheffe de la santé et la sécurité dans le Département régional de travail du Mato Grosso explique que l’absence de pause est liée au rendement: «Si un travailleur s’arrête, toute la chaîne est bloquée».

Autre problème, les mouvements répétitifs sont exténuants et l’environnement des chambres froides glacial. A cela, s’ajoute le manque d’entraînement à la sécurité. Aline Amora complète l’équation: «Manipuler des couteaux et des machines en ayant les membres engourdis par le froid conduit à des accidents récurrents».

Après quatre ans dans le même abattoir à éviscérer des carcasses, Ana a développé une arthrite sévère et a perdu son travail. Elle n’en retrouvera pas d’autre: «C’est trop dur de penser au passé, et je suis si inquiète pour mon avenir. Quand les employeurs réalisent ma maladie, ils ne m’engagent pas. Et je connais de nombreuses personnes dans mon cas. C’est comme ça que cela fonctionne: vous pouvez travailler tant que vous êtes en bonne santé, mais vous êtes virés dès que vous êtes malades. C’est ça, la justice au Brésil», pleure-t-elle en racontant son histoire. Évidemment, Ana ne reçoit aucune compensation pour la maladie que son travail a engendré.

Des travailleurs qui perdent leurs droits tous les huit mois

Il est difficile pour les travailleurs des abattoirs de porter plainte, faute de comparaison. Valdiney Antonio de Arruda, superintendant du Département de travail régional atteste qu’aucun abattoir ne respecte le nombre légal d’heures de travail par jour ni ne fournit d’équipements de sécurité.

De leur côté, João*, 26 ans et Sebastiao*, 23 ans, mettent le doigt sur une autre faille de la législation: «Tous les huit mois, on est licencié, car l’abattoir change de nom ou de propriétaire. On nous réengage quelques jours plus tard». Conséquence, ces «nouvelles entreprises» ne sont pas tenues d’honorer les droits des travailleurs avant leur entrée en fonction. Or, cette manipulation administrative est bancale, selon Wlaudecyr Goulant, auditeur du Département fiscal de la région: «Les travailleurs le savent, chacun devrait attaquer individuellement l’entreprise pour faire valoir ses droits. Or ils ont rarement l’énergie de se lancer seuls dans le combat». Sans compter que les travailleurs sont souvent obligés d’accepter ce triste compromis, au risque de ne plus retrouver d’emploi. Et George*, un autre employé de conclure: «Leurs machines leur importent plus que leurs employés».

*Prénoms d’emprunt, noms connus de Danwatch

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